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Autoportrait en Dorian Gay © David Noir

Pourquoi Scrap ?

Autoportrait en Dorian Gay © David Noir
Autoportrait en Dorian Gay © David Noir

Parce qu’au fur et à mesure des années, en pratiquant mon travail, en « créant » comme on dit, j’ai été amené à m’interroger sur l’intégrité des individus et la difficulté croissante que j’avais à croire en leurs capacités, conscientes ou non, à suivre un comportement rectiligne et honnête, conforme à leurs convictions, y compris dans mon cas. Je remarquais chaque fois un peu plus, que le « n’importe quoi », pourtant sauvagement péjoratif et revendiqué par tout le monde comme l’incarnation de ce qu’il ne fallait surtout pas faire, était en réalité, absolument fondateur de la logique des comportements.

J’observais donc durant quelques années, les degrés de manifestation de cette intégrité rêvée, la mienne et celle de tout le monde :  ceux que je connaissais, ceux que je ne connaissais pas, ceux dont j’entendais le discours par médias interposés, ceux dont je voyais l’activité, ceux qui me parlaient en direct, ceux que j’avais fréquentés par le passé. En bref, je me suis progressivement intéressé aux êtres humains que nous sommes sous cet éclairage et non plus à partir du seul a priori venu de mon enfance, qui voudrait qu’il y ait d’un côté, mes amis et les inconnus qui suscitent mon attachement et mon admiration et d’un autre, le reste de la population. On ne peut pas dire, dès lors, que je me sois facilité la vie en abandonnant cette posture ordinairement tranchée.

Intégrité, c’est un drôle de mot. Les définitions qu’en donne Larousse sont intéressantes :

• État de quelque chose qui a toutes ses parties, qui n’a subi aucune diminution, aucun retranchement : L’intégrité du territoire, d’une œuvre.
• État de quelque chose qui a conservé sans altération ses qualités, son état originel : Conserver l’intégrité de ses facultés intellectuelles malgré l’âge.
• Qualité de quelqu’un, de son comportement, d’une institution qui est intègre, honnête : L’intégrité d’un juge.

Je trouve en effet cela intéressant car, lié à la notion d’intégrité, on trouve la notion de confiance des rapports que nous avons ensemble. C’est, entre autre, ce qui détermine notre qualité de vie, de conscience et aussi celle de nos actes.

Les exemples illustrant les définitions ci-dessus, suggèrent 3 qualificatifs en ce sens : entier, intact, honnête.

Ce n’est pas mon propos de juger un peu facilement les autres et moi-même à l’aune pure de ces trois mots pour décréter que nous y correspondons ou pas. Je ne cherche pas à ériger une preuve par l’absurde en organisant des remises de prix grotesques et revanchardes. Qui plus est, ce serait peine perdue, puisque de toute façon, une simple estimation rapide de nos comportements évacue dans la foulée la possibilité d’y répondre. Trop d’évènements du quotidien révèlent sans mal que, hors de supposées « saintes » personnes dotées d’un courage de conviction absolu dont je ne connais pas de représentants, il nous est impossible de remplir ce cahier des charges à temps plein. C’est même une tâche surhumaine que d’y parvenir partiellement. Peurs, mensonges, complaisances anodines et diverses, parfois même, trahisons, nous empêchent totalement de jouir d’une quelconque pureté.
La question n’est donc pas de savoir qui y parvient, ni même si nous pouvons y parvenir, mais – ce concept d’intégrité étant quand même lourd d’implication dans nos vies, quotidiennes, professionnelles et, pour ce qui me préoccupe, artistiques et affectives – de se demander comment vivre ensemble de façon aimable et sincère si on ne peut étayer sa confiance en soi-même et en autrui, que de manière fragmentée ?
Le monde se révèle alors terrible de solitude et de désespérance. Une redoutable jungle où amitié, amour, confiance n’ont plus tout à fait droit de cité tels que nous les avons conçus.

Il ne faudrait surtout pas voir dans cette dernière phrase un désespoir au sens romantique. Si désespoir il y a, c’est celui du chercheur en butte aux impasses et expériences infructueuses. Que faire donc, de cette aspiration à établir de la confiance qui – et c’est là le point – en tous domaines, ne trouve pas de borne ? Peut-on se satisfaire de demi-confiances, de quarts de confiance, de 8ème de confiance ou que sais-je ?

Apparaît alors le fameux contrat qui aujourd’hui, gère tant des aspects de nos vies.

Unions, emprunts, engagements, emplois, collaborations … tout se consigne par écrit ou se signifie oralement pour mieux circonscrire la nature des échanges. Ce qui est engagé n’est pas important en soi. Argent, amour, marchandises, sexe, travail… ne sont que les détails de ce qu’il est convenu d’échanger ou de mettre à disposition. L’important reste le cadre qui définit les attentes.
Qu’il soit oral ou scrupuleusement écrit, le contrat a ses limites. Il ne peut définir l’indicible. Il ne peut rendre précisément ce qui fait le sentiment intime de chacune des personnes qu’il lie. De cet état de fait découlent tant de mésententes, de déceptions, de procès et de guerres déclarées au niveau individuel ou collectif.

Outre ces limitations, son format l’handicape également pour tenir compte de l’évolution. Il en est même antinomique par essence. Le contrat est fait pour établir une situation à un temps donné et la figer durant un temps donné.

Exit donc le contrat, réducteur, impossiblement exhaustif ou mal compris, j’en ai fait l’expérience, pour asseoir la confiance entre des partenaires.

L’ingénierie ne seyant pas aux relations humaines affectives, j’en appelle donc plutôt au hasard pour me débarrasser de mon jugement personnel sur les choses et les évènements.

SCRAP laisse donc faire.
Mais à la différence des Parques d’attraction, son processus vise à identifier et individualiser le rapport aux autres et non à le noyer dans la masse d’une foire débridée. Bien plus « select » donc, le projet choisit une orientation pour exprimer ce qu’il a dans le ventre. Et c’est bien dans le ventre qu’il entend disposer son siège, puisque son décor s’identifie à la matrice féminine.
Aucune naissance n’est programmée pour autant. C’est même son contraire qui prend place sous la forme d’une évocation du flux périodique menstruel, seul espace où le sang ne soit pas « gore » et parle de l’intimité biologique sans mutilation du corps. Aucune chair n’est en ce cas tranchée pour qu’il s’écoule. C’est là ce qui m’intéresse : quand l’intérieur parle de lui-même, sans brusquerie externe. L’éjaculation masculine aurait pu être également une illustration de ce désir d’épanchement. Les règles des femmes m’intéressent en l’occurrence davantage, en ce sens qu’elles viennent en l’absence de tout mouvement volontaire de stimulation. Elles partagent avec nos excréments, leur qualité de « déchets », de passage en pertes et profits. La défécation étant un évènement ponctuel, maintes fois réitéré dans la semaine, je l’ai laissé naturellement de côté en tant que support poétique, car c’est l’étalement relativement imprévisible dans la durée qui devait ici prévaloir, comme je l’ai exposé plus haut, en rejetant le rigide contrat de confiance en tant qu’évènement s’avérant incapable d’embrasser cette notion indéterminable par avance.

Pas de contrat, c’est entendu, mais des règles.

Quelles peuvent-elles bien être pour rendre la vie positivement possible, en amour, entre amis, en société ?

Bien évidemment, je n’en sais rien et c’est du côté de la myriade des philosophes et penseurs de toutes époques qu’il faut se tourner si l’on souhaite obtenir quelques réflexions utiles à ce sujet.

Mon unique certitude en la matière est que ce que nous proférons du matin au soir au cours de nos conversations ne dit rien de la réalité qui nous submerge et que la plupart des œuvres n’en font pas davantage état en aspirant à construire du sens. Ce fameux sens des choses, de nous-mêmes et de la vie, il me semble en vérité partout. Dans l’incohérence autant que dans la structuration, dans l’absence autant que dans la création. Pour nous, espèce humaine, le chemin que nous avons suivi fait de tout ce qui est, identiquement à tout ce qui n’est pas, le support de notre existence. Car bien plus que de la vivre, nous nous la figurons. Imagination et vie des idées sont notre réel au même titre que la naissance et la mort. Il n’est pas de retour arrière possible au flux de la pensée.

Les règles qui me guident aujourd’hui s’organisent en concepts scéniques et, dans ce cas qui est spécifiquement le mien, également vitaux.
Je pourrais les résumer ainsi :

• Avoir un centre mobile de façon à ce qu’il ne soit pas un centre exclusif
• Remettre en question toute autre règle qui n’émane pas de ce centre
• Adopter toute règle qui m’est étrangère mais capable de cohabiter avec ce centre
• Faire du centre qu’il n’ait pas davantage d’importance que ce qui n’est pas ce centre
• Accorder une importance sans limite à ce qui n’est pas prévu d’en avoir aux abords de ce centre

C’est pour ces raisons que SCRAP m’impose d’être seul.
C’est pour ces raisons qu’étant seul, je souhaite m’identifier à toutes et tous.
C’est pour ces raisons que je crois à l’émergence d’une personnalité là où rien n’y prétend plus.
C’est pour ces raisons que SCRAP fait son sujet de ne pas en avoir.
C’est pour ces raisons que ce qui n’y existera pas, ne sera, par essence, pas moins constructif que ce qui y adviendra.

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

Cet article a 5 commentaires

  1. Didier Julius

    Si « Les Parques d’attraction » m’évoquait un aquarium, SCRAP m’a fait pensé à une voie lactée avec en son centre mobile un soleil aux éruptions régulières libérant des rayons X par phases. Passé le seuil, libre à chacun de naviguer dans cet espace structuré autour de cette rivière de menstruations à la grenadine. Au centre des personnages hybrides reflétant le sublime monstrueux d’une humanité qui ne retient pas ce qui déborde. David nous fait des personnages qui débordent et s’écoulent dans cet espace. C’est troublant cette absence de retenue. C’est peut être comme ça que nous devrions être dans un monde idéal. Sans retenue , sans calcul, dans la réalité de l’expression de l’intime, de la fragilité, sans peur du grotesque de ce que nous sommes., nous accrochant à nos paquets de cigarette, lunettes, tampons hygiéniques, rouge à lèvre ou autre crucifix. Evidemment c’est émouvant, je me laisse avoir, je sais qu’il y a beaucoup de plastique, de nylon, de latex et de make-up mais il s’agit là de matériaux précieux au service d’une vie qui bouillonne, d’un jeu du réel. et je ris, je ris, je ris jusqu’à ce que la gorge serre. Le public est là autour , mobile ou figé, il s’allume et s’éteint, prend parfois le centre, c’est fragile, c’est bafouillant, ça comble le silence de bruits, ça bouge au rythme du son, ça tient à un fil, ça marche, c’est brillant, ça se noie, ça doute pas mal, ça s’affirme, c’est intense. Mais que faire avec cette possibilité, ces degrés de liberté ? Que faire aussi avec cet égo ? Il est conseillé en cas d’éruption solaire de ne pas se fier à son GPS, alors à un moment , je cesse de me poser des questions et je me laisse flotter en état gravitationnel au milieu de l’abondance des sens, l’abondance des possibilités de SCRAP qui me donne envie de bricoler, de jouer et me faire un collage/montage de tout ça dans la tête. Et je ris, je ris , je ris.

    1. David Noir

      « Siffler en travaillant »

      Les créatures hybrides, les incarnations folles, les chanteuses à la barbe soyeuse semblent peu à peu s’armer de conserve, s’émanciper de leur discrétion et des barreaux des cages de Barnum pour libérer une incohérence à valeur de sens. C’est ce que je pressens et souhaite depuis mon adolescence. Coup d’épée dans l’eau à l’époque trop euphorique de Tootsie et Victor Victoria, il se pourrait cette fois, que l’étang troublé fasse apparaître le miroir de milliers d’identités nouvelles à sa surface avec davantage de succès. La contamination est plus efficace que l’affrontement des forces. Les divinités païennes, grecques, romaines et autres centaures laissent la guerre aux hommes, les manipulent et arrivent à leurs fins par magie. Quelque chose de subtilement instillé entre les rêves du père Freud et le jeu vidéo de notre temps dessine les constellations que tu décris. Une guerre du temps et du remodelage des esprits peut se faire contre la brutalité aveugle et fascisante qui n’entend que l’oppression physique et la propagande grossière. Il s’agit d’être plus flou, d’être plus fin. Pour ça, merci le Web. Le fatras nous sauve de l’ordonnancement futile des apparences. J’y crois. Le bordel d’une chambre d’enfant provoque l’hystérie autodestructrice des parents. Il s’agit que personne jamais n’y retrouve ses petits. Oui, pour ma part, j’y crois. Merci de ton rayonnement jour après jour plus palpable à travers ces sphères gazeuses, Didier. C’est toujours un privilège d’assister à la formation de planètes et de futurs systèmes. L’ego est la matière indispensable à son propre soleil. Ce n’est pas pour autant qu’il annihile la vie potentielle alentour. Toi, certains/es autres ; moi aussi, j’espère encore quelques temps, sauront bien quoi faire de tous ces collages et big bang à venir. Rire et bricoler font partie des bons aspects de la vie.

  2. Didier Julius

    Merci David, ce que tu fais/es/dit/écrit est un très bon carburant pour faire bouger mes sphères gazeuses (et celles de bien d’autres je pense), en vue de prochaines explosions des sens et des identités 🙂
    (message qui a sans doute été classé en catégorie « à surveiller » par la NSA alors que je n’ai même pas écrit le mot détonateur, enfin si maintenant …)

  3. Didier Julius

    fais/es/dis/écris, voulais-je écrire …. glurp (bruit d’une micro explosion)

  4. David Noir

    On va voir si ça marche … Snowden Snowden Snowden … 🙂

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